Tu Parles

Extraits d’une discussion avec Anahuac publiée dans le fanzine Fond de Caisse #2 (2019) :


Tu peux m’expliquer comment marche ta musique ?


À ce jour j’utilise 3 électrophones. Ce projet a eu plusieurs phases d’instrumentariums, avec comme base toujours les électrophones. Au fur et à mesure j’ai épuré le set up dans une envie de radicaliser, d’aller à l’essentiel. À chaque fois que j’ai enlevé un élément, je flippais avant de faire un nouveau live, comme si je m’enlevais une béquille. Mais ça m’a aussi obligé à adopter certains gestes, une nouvelle dextérité dans le jeu. Je pousse encore plus le côté manipulation de l’objet, c’est ce qui m’intéresse le plus dans la musique électroacoustique.

Quels outils utilises-tu ?

J’utilise comme effets une réverb, une pédale d’équalisation pour chaque appareil et surtout le son brut des tourne disques. La petite enceinte intégrée se transforme en micro et je peux, en tapant sur le plastique, imiter le son d’un kick. J’ai fabriqué un truc très simple avec des boutons-poussoirs qui permettent de couper les platines et de les rallumer rapidement, il en résulte un effet Cut qui me sert à créer une rythmique à la main.
Je fais graver des disques uniques avec des sons enregistrés en extérieur ainsi que des rythmiques et des nappes de synthés assez brutes.
Avant ça je passais beaucoup de temps à glaner des vinyles de bruitages pour cinéma, sauf qu’à un moment, vu que tout le projet tournais autour de cette matière, pour avancer et garder de la fraîcheur, j’ai eu besoin de travailler avec mes propres textures sonores. Comme le faisaient les DJ de sound-system à la grande époque des mix vinyles.

Tes concerts, c’est de l’impro avec des passages écrits, ou pas du tout?

J’ai une pratique d’improvisateur dans le sens où mon set n’est jamais écrit. J’ai un certain panel de son gravés qui me permet d’en utiliser qu’une petite partie pour un live et de varier les plaisirs d’un concert à un autre, selon l’humeur du moment. Mais je dois avouer que sur une tournée quand une rythmique envoie bien il m’arrive de l’utiliser tous les soirs. C’est un piège car il y a toujours un moment où elle ne fonctionne plus. C’est bien, ça permet de se remettre en question, de rester spontané, de ne pas s’endormir.

On dirait que certains de tes disques ont des sillons fermés.


Mes disques n’ont pas de sillons fermés, par contre j’utilise des cales réglables qui me servent à boucler un passage, ça a la même durée qu’un Lock Groove. En fait, la cale c’est un carré de carton percé à un endroit pour le poser au centre du plateau et arrondi au bout pour obliger la cellule à lire le même sillon en boucle. Je prépare aussi des cales en carton sur mesure pour retrouver en live une boucle travaillée chez moi. J’utilise parfois aussi des gommettes, astuce plus classique de platiniste. Toutes ces méthodes défoncent un peu les disques et les saphirs mais vu le prix de mon matos en général, il me faut bien un peu de consommable à acheter de temps en temps!


Pourquoi des platines d’aussi mauvaise qualité ?


C’est une rencontre un peu hasardeuse avec ce modèle de tourne-disques mono des 70’s, le 5120. Philips, Radiola et Schneider ont commercialisé cet objet destiné aux enfants.
En plus d’être très beaux, ils fonctionnent avec un système de galet-presseur leur permettant de tourner des heures et des heures, tout en supportant les mauvais traitements. Au début j’en ai trouvé un à 5 balles sur un vide grenier, puis, après une première utilisation live pour une performance de danse avec Igor 16382 (en 2010 à Tarbes), l’ami qui organisait l’événement ma offert le même modèle. Le projet est né à ce moment là.

Depuis, des amis m’en offrent régulièrement un après l’avoir retrouvé dans des affaires d’enfance. J’en achète parfois sur Leboncoin mais cet objet commence à côter!! Maudit soit le Vintage…

C’est aussi un peu un choix que de n’avoir que du matos chip, par économie mais aussi pour le plaisir de bidouiller. Ma maladresse se marie bien avec mon amour du bricolage. Régulièrement en tournée je me retrouve à réparer du matos pété: fer à souder et Superglue sont deux alliés essentiels dans ces moments là.
Les platines du style Mk2 sont trop lourdes à porter et impersonnelles et tu peux pas demander à chaque orga de t’en fournir partout où tu vas, puis j’ai jamais été DJ alors j’ai pas de gros feeling avec ces outils.

Comment est-ce que tu en es venu à faire ça ?


ça vient d’une période où je me lassais de faire de la musique en groupe avec des instruments de rock. En même temps j’avais aucune notion académique de la musique et l’impro libre me paraissait trop codifiée, je devenais aussi plus sensible à la musique concrète sans savoir réellement ce que c’était. En tous cas un besoin d’introspection pour exprimer des choses plus personnelles. Le solo c’est aussi une sorte de défi, une manière de se mettre en danger, il oblige à assumer son image en public. Avec tout le côté égotrip que ça implique évidemment! C’est un peu proche d’une thérapie, non?

On a l’impression qu’il y avait beaucoup de platinistes il y a quelques temps dans la scène de la musique électroacoustique improvisée, ça semble un peu plus rare maintenant. Tu te sens proche de cette « première vague » de platiniste ? (Erik M, Ignaz Shick …)

Je bidouillais vaguement cette matière puis, en 2008, j’ai pu voir un live de ErikM et Martin Tétreault au Théâtre Garonne à Toulouse. Jusqu’alors je n’avais vu que des platinistes DJ ou scratcheur
dans le hip hop et la techno. Là je me retrouvais assis dans une salle face à des platinistes qu’on « écoute ». La manière dont ils utilisaient leur matériel et les sonorités qui en découlaient étaient nouvelles pour moi. C’est par la suite que j’ai appris l’existence de Christian Marclay et autre Otomo Yoshihide.
J’avais pas mal flashé sur la gestuelle de ErikM, son côté dansée… Aujourd’hui je me sent plus proche de l’approche sonore de Martin Tétreault.
Bien qu’utilisant de la bande et des Révox, la pratique de Gérôme Noetinger me paraît proche de cette scène de platinistes; il est aussi dans la manipulation, le foutoir.
Ignaz Shick, je l’ai rencontré une fois, je ne l’ai jamais vu joué. J’ai vu des vidéos par contre, il est beaucoup dans le vinyle préparé. Il a une approche assez douce et organique.
Je pense également à Arnaud Rivière, c’est pas toujours flagrant à l’écoute mais il utilise bien ce qu’il reste d’un tourne disque! C’est physique, voir burlesque. J’ai toujours la vision d’un cartoon! Sa démarche fait le pont entre l’institutionnel et la scène underground.


Je ne sais pas si cette pratique est devenue moins visible qu’avant dans le milieu de la musique improvisée conventionnée, mais dans une sphère plus souterraine, la bidouille du vinyle est assez courante, surtout dans cette idée de sentir la matière sonore physiquement et cette volonté de sortir de l’informatique en ce qui concerne les musiques bruitistes. Je pense notamment à Cabine Volcan. Il y a aussi François Bessac, érudit inconnu et aveyronnais (voir art. dans l’Empaillé n°3) qui s’intéresse vraiment à l’aspect plastique autour de la platine. Arno Bruil utilisait des Teppaz à un moment, il les sort beaucoup moins mais garde quand même une approche giratoire dans sa musique. Je me rappel avoir vu Héron Cendré avec une belle platine customisée.

Récemment j’ai découvert Maria Chàvez, une artiste platiniste qui explique sa pratique et ses trucs dans un livre : De la technique – Processus aléatoires sur platine.

Crédits de guilhemesuive.fr

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